MARION BERNARD

À l’heure des archis stars, l'agence Marion Bernard réhabilite l’aventure collective. Découverte d’une agence qui brouille les pistes pour mieux nous surprendre, crée des espaces à vivre plutôt qu’à seulement habiter.

Derrière un nom à l’apparente banalité, un duo lui très singulier. Manon Gaillet et Sylvain Bérard se sont rencontrés sur les bancs du lycée et retrouvés après leurs études d’architecture dans leur ville d’origine : Marseille. Un concours très rapidement gagné les convainc qu’ils sont sur la même longueur d’ondes dans leur vision du métier. Décloisonner l’architecture en y invitant l’art, montrer les pratiques et partager les modes d’expression sera leur leitmotiv dans la réalisation de commandes privées comme publiques. Dans un milieu qui manque souvent d’humour et de recul sur soi, leur ego s’efface avec une volonté de ne pas se prendre au sérieux. « Nous aimons la puissance onirique de l’art qui est éminemment plus abstrait que l’architecture. »

E—F La signature architecturale est un code ancien. C’est devenu une marque avec les archis stars. Quelle est la signification de la vôtre ?

M—B Nous cherchions un nom pour notre agence sans vouloir nous mettre en avant. On m’a appelé Marion toute ma vie et lui Bernard. Ça nous amusait de mixer les deux pour créer un personnage fictif. Sortir de l’égo et rester secret avec la possibilité d’agrandir le collectif (ndlr : ils travaillent depuis les débuts avec l’artiste Romain Magail et l’architecte Fanny Camerlo).

L’agence a dix ans cette année. C’est court en terme d’architecture mais déjà long pour réfléchir à des projets. Quel premier bilan tirez-vous de son positionnement singulier ?

Que l’on est sur la bonne voie. On a enseigné à l’école d’architecture de Marseille en parallèle des activités de notre agence et on a perçu des gros changements de mentalité. L’architecture de consommation dont l’esthétique n’existe que pour elle-même n’intéresse plus les jeunes élèves d’aujourd’hui. Ils se soucient davantage maintenant de pourquoi ils font les choses, à quoi elles servent, leur bien-fondé pour le quartier, l’importance de la concertation avec les habitants.

Les extérieurs peuvent être considérés comme de vraies pièces à vivre dans nombre de vos projets. En quoi la Méditerranée vous inspire-t-elle ?

On est de vrais sudistes. On a fait une conférence un jour sur la Méditerranée et comment notre architecture en parlait. Il y a le dedans/dehors bien sûr mais aussi la façon de faire circuler les bruits, de se voir, s’entendre. Offrir la possibilité de vivre les uns sur les autres tout en gardant de l’intimité. Enfin il y a le blanc bien sûr, omniprésent.

Vous dites aimer dessiner des espaces à vivre, dont la lecture sols, murs et plafond est très simple…

Oui nous sommes des architectes de la coquille, des « espaces capables » comme on dit en architecture. D’où la non couleur, car on ne veut pas que cela soit trop investi par le décoratif, qui lui viendra par le client. On garde la qualité de surface et de lumière mais on n’est pas dans le débat du choix des couleurs ou d’ajouts de matière. Le projet d’un hangar transformé en deux appartements symétriques auxquels on accède par un escalier commun parle beaucoup de cela. Il y avait le vide et maintenant l’habité. C’est très surprenant de voir comment deux familles se sont appropriées un volume identique.

Certains de vos projets intégrant des portes cintrées de différentes tailles et des cloisons arrondies ont néanmoins une charge scénique assez poétique… ?

Ça participe sans doute de notre amour du théâtre, des décors. Dans son cursus d’études Sylvain a fait l’école Pennhingen et j’ai quant à moi eu la chance d’intégrer l’ENSA de Paris-Malaquais qui avait une nouvelle façon d’enseigner, permettant de choisir tous les six mois une branche de l’architecture (archi, urbanisme, scénographie, design, etc.). J’ai aussi eu l’opportunité par la suite de faire des stages à la Mode en Images à Paris et dans les ateliers d’artistes de la Ville de Marseille qui m’ont beaucoup influencé dans mon approche du métier. Le cube en miroir pour le collectif oracular/vernacular installé à la Maison de vente Leclere, ou l’escalier et ferronneries roses participent aussi de ce besoin de fantaisie.

Pourquoi cette prédominance du béton travaillé sous toutes ses formes, couleurs, effets (banchage, crénelage, etc.) ?

C’est vrai qu’on aime beaucoup travailler ce matériau. Ses mises en oeuvre sont multiples et il a la chance de pouvoir être à la fois un matériau de gros oeuvre comme de finition. De plus, il vit, vieillit, se patine avec le temps. Ce qui, à nos yeux, représente une qualité. Son défaut serait la note de sa consommation énergétique nécessaire à sa production… On a la chance d’avoir de très bons artisans pour le travailler, patients et curieux. Donc on expérimente avec des maquettes en béton pour pouvoir montrer les vrais rendus au client qui a souvent besoin d’être rassuré.

L’art est souvent partie prenante dans vos réalisations. Comment se passe le processus d’intégration d’une oeuvre ?

Nous ne faisons pas le choix « d’intégrer de l’art » dans nos projets. Nous aimons la puissance onirique de l’art qui est éminemment plus abstrait que l’architecture. Par définition le fait de construire fige. Nous aimons travailler nos projets de sorte à ce que même une fois construits, l’imaginaire de chacun puisse encore s’exercer. Nous avons réalisé dans le quartier de Malmousque à Marseille une terrasse à l’aménagement très minimaliste en raison du fort mistral qui souffle souvent là-bas. Il fallait juste de quoi s’asseoir (une table et un banc) se rafraîchir (une douche) et en visuel l’horizon marin (un petit muret et un garde-corps dont la hauteur cache juste les maisons alentour). Comme le client est un collectionneur d’art, il nous a fait mettre en réserve un emplacement en prévision de l’achat d’une oeuvre. Nous avons dessiné le socle pour que cela puisse être élégant, puis orchestré l’installation de ce sacré tronc par une grue.

L’image est très importante dans votre travail. Elle rend sensible des notions de sensualité, de bien-être, de mouvement. Comment naissent-elles ?

Là encore ce sont des histoires de collaborations. Que ce soit un lâcher de poussins autour d’un cube (en référence à une installation photo de Thomas Mailaender pour lequel nous avions construit une scénographie), une danseuse évoluant dans l’espace devant l’objectif d’une photographe à qui on avait prêté un lieu, ça peut paraître loufoque mais c’est intéressant parce que cela parle aussi de notre lieu et la façon de l’habiter. On souhaite laisser prochainement les murs à des artistes entre les temps de latence d’un prochain chantier.

Vous aimez exposer et réfléchir aux enjeux de l’architecture en invitant vos congénères à des événements. N’est-ce pas aussi une façon de dépasser le cadre de la compétition dans laquelle les agences sont souvent enfermées ?

On s’est aperçu que dans la conception comme dans le chantier et les étapes intermédiaires, chaque agence a des méthodes très personnelles de recherche qui fabriquent une esthétique mais questionnent aussi différemment tout le quotidien. Par l’outil, on fabrique la question. Il y a des agences qui ne travaillent que comme cela. C’est par leur brouillon qu’elles esquissent le travail fini. La 3D entérine mais ne permet pas la recherche. Dans la galerie Art-cade de Marseille (exposition « 25 architectes, 5 absents » en 2016) comme au Pavillon de l’Arsenal à Paris (exposition « 30 architectes » en 2017) on a réussi à inviter parmi de nombreuses agences nos préférées. Pas forcément les plus commerciales, mais celles qui expérimentent avec les matières et les concepts.

Vous parliez pour un chantier de villa à La Londe esquissé en 2018 de « construire une ruine ». Qu’entendez-vous par là ?

Ça revient à notre fantasme d’une architecture qui ne doit pas s’imposer mais exister comme une évidence, s’intégrer au paysage comme si elle avait toujours existé. Cela procède aussi d’une affinité au primitif et matériaux bruts. Une ruine ça n’a plus de toits. Il reste les refends (ndlr : murs porteurs intérieurs). Il y a une mixité entre les intérieurs et extérieurs, un jeu de quinconce, une volonté de brouiller les pistes, ne plus savoir où l’on est. Ça devient une sorte de squelette dans l’environnement végétal comme les oeuvres de l’artiste Rachel Whiteread que l’on adore.

Le chantier de l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires (IMVT) qui va faire cohabiter trois écoles (architecture, paysage et urbanisme) est là encore une aventure collective. Avez-vous été surpris de remporter le concours ?

Oui car je crois que le ministère a pris un beau risque en récompensant l’humain plutôt qu’une signature. Nous avons répondu à cette commande publique avec les agences np2f et Point Suprême, accompagné de Jacques Lucan, avec qui nous avons un vrai affect que ce soit familial ou amical et une vision commune de ce que doit être l’architecture de demain. Notre réponse ne renvoie pas à une architecture dite d’auteur. Elle s’adresse aux usagers. Elle met l’accent sur la générosité des espaces dessinés, sur la pérennité d’une structure porteuse et son adaptabilité, ce qui nous semble être fondamental de nos jours.

INFORMATIONS PRATIQUES

Crédits ©2020 Texte – Eric Foucher
Photos – Marion Bernard & Thomas Mailaender
Article issu de la Revue n°l selon ARCHIK