LA WIGGLE CHAIR

Une assise souple et gracieuse comme un drapé, un aspect brut et une structure aérienne : on la croirait tout juste sortie d’une machine à extruder. On imagine volontiers la matière malléable s’affaisser lentement sur elle-même, jusqu’à trouver son propre équilibre, autonome.

D’une simplicité déconcertante, la Wiggle Chair de Frank Gehry, littéralement « Chaise en mouvement » en français, résulte en réalité d’une étude plus complexe du matériau carton. Nous sommes au début des années 1970. Celui qui signera par la suite les renommés Musée Guggenheim de Bilbao et Fondation Vuitton de Boulogne-Billancourt, ou encore la Fondation LUMA à Arles, étonne le public avec une pièce incongrue à l’identité complexe, marquée de contrariétés : lignes dynamiques, contours nets ; structure légère, construction robuste; vocabulaire sculptural, matériau banal.

Quelle démarche est à l’origine de cette Wiggle Chair, qui prétend supplanter le bois massif ou le plastique ? « Je regardais un jour dans mon bureau une pile de carton ondulé, matériau que j’utilisais pour mes maquettes de bâtiments, et je me suis mis à jouer avec les morceaux, à les entre-coller et à découper l’ensemble à l’aide d’une scie à main et d’un canif ». On reconnait là les prémices du style de l’architecte : pour concevoir les lignes courbes et spectaculaires qui font sa signature et défient les lois de la construction, Gehry travaille d’abord avec des papiers qu’il froisse et tord pour trouver la forme qui lui convient. 1 Ainsi donne-t-il naissance à cette assise en forme de drapé, qui n’est pas sans rappeler le signe de l’infini, mais aussi la répétition, l’accumulation.

Et si le carton supporte ici une charge humaine, c’est justement parce que Gehry a choisi de le travailler comme un aggloméré : plusieurs strates de carton ondulé à cannelure sont accumulées les unes à côté des autres, et non les unes sur les autres. De face, on peut voir les tranches se succéder et remarquer une autre spécificité de la structure : afin de renforcer sa solidité, l’architecte a alterné le sens des ondulations de chaque feuille. Puis, l’ensemble est fini par des panneaux de carton en fibre dure qui constituent les bords latéraux de la chaise, et confèrent à l’ensemble un effet de condensation de la matière.

Au-delà de l’esthétique et de la prouesse structurelle, la Wiggle Chair et le recourt au carton par l’architecte constituaient à l’époque un discours social

et politique engagé dans la démocratisation du design : à
sa sortie, la chaise sera commercialisée à grande échelle
au prix de 15 $… Avant d’être récupérée et éditée par
Vitra en 1986. Prix de vente actuel : 895 €. À croire que
le carton a enfin gagné ses lettres de noblesse.

INFORMATIONS PRATIQUES

Illustration – Charlotte Colt

Texte – Emmanuelle Oddo

Photos – © Blog esprit design