ÉLITIS

Maison d’exception, Elitis édite depuis 1988 des tissus et revêtements muraux inédits, entre innovation technique et chef d’œuvre artisanal. Rencontre.

Lins ajourés, tressages de jacinthe d’eau, impressions sur fil à fil ou bambous tressés… Les créations qui jalonnent l’histoire de la maison surprennent par leur précision, leur pertinence et leur éclectisme. C’est en bordure de Toulouse, dans un site baigné de lumière, que l’éditeur a choisi de s’implanter. Ici, le bureau de style formé à l’origine par Marie Papillaud et Vincent Gevin, officie chaque jour pour cultiver cette vision expérimentale.

Marie, Vincent, pourriez-vous nous parler du site où nous nous trouvons ? Comment a été pensé l’agencement d’un tel espace ?

Patrice Marraud des Grottes a voulu faire construire en 1995 un lieu de travail qui soit convivial, où l’on puisse se retrouver. Pour des raisons familiales, il a choisi un site à Toulouse, dans le quartier de Montaudran. Vincent et moi étions déjà là. Nous étions à l’époque très peu nombreux, presque perdus dans ces immenses pièces. Mais l’espace était déjà chaleureux, avec cette grande cuisine centrale et sa table généreuse, sa cheminée allumée l’hiver ou encore son jardin dont nous profitons l’été. Aujourd’hui, nous sommes une cinquantaine de personnes, contre une dizaine à la création d’Elitis en 1988. Le rez-de-chaussée accueille les fonctions administratives, la comptabilité et les commerciaux qui prennent des commandes toute la journée auprès de nos clients ou nos agents à l’étranger. À l’étage, nous retrouvons le style et le marketing. Mais bien qu’une division soit opérée par les deux niveaux, l’espace ne comporte pas de cloison, tout est pensé en open-space, et dans ce sens-là, nous partageons beaucoup de choses, notamment visuelles.

Comment s’organise la création autour du bureau de style ?

Dix personnes composent le bureau de style, dont six qui dessinent, et les autres qui développent les collections. Historiquement Marie et moi avons créé le bureau de style, mais il n’y a pour autant aucune hiérarchie aujourd’hui. Au début de l’année nous faisons des panneaux de tendances, pour avoir une idée globale de la direction graphique. On est très axé matière chez Elitis, donc nous réfléchissons énormément en fonction du cahier des charges que nous devons respecter pour développer nos collections de papiers peints, revêtements muraux et textiles, à sortir pour septembre et janvier.

Nous sommes éditeur, nous ne fabriquons pas : nous avons des fabricants partout dans le monde en fonction des produits que nous développons. Nous essayons donc de voyager beaucoup pour découvrir de nouveaux partenaires, voir si leur manière de travailler nous donne des idées pour développer des dessins et de nouvelles matières. Pour le textile, même chose :
chaque nouveau besoin en velours, lin, jacquard ou broderie est l’occasion de sourcer de nouveaux fournisseurs. Chaque nouveauté chez Elitis découle d’une opportunité de développement identifiée chez un fabricant, et qui n’avait jamais été exploitée dans le monde du tissu d’ameublement, du revêtement mural ou du papier peint. C’est toujours le résultat d’une rencontre et d’un partenariat. 

Les créations Elitis se situent à mi-chemin entre savoir-faire artisanal et recherche innovante. Comment assurez-vous cet équilibre ? 

Nous ne sommes pas toujours dans l’innovation, parfois il peut s’agir de choses très traditionnelles que l’on sort de leur contexte et que l’on adapte à nos supports : un panier de superbe confection glané en Asie par exemple, que nous allons tenter de reproduire en mural. La recherche et le développement de nouveautés peuvent être très longs, voire parfois ne jamais aboutir. L’intuition et l’entente sont très importantes aussi : si nous n’arrivons pas à nous entendre avec le fabriquant, c’est que nous ne sommes pas au bon endroit. Si le contact est bon, nous imaginons des projets en fonction de ce qu’ils savent faire, nous n’essayons pas de leur demander l’impossible. Tout au plus, nous souhaitons qu’ils cherchent des solutions, grâce à leur savoir-faire, pour développer des innovations. Chose qui généralement les intéresse puisque le développement de cette nouvelle technique peut leur ouvrir également de nouveaux débouchés par la suite. Nous sommes allés chercher par exemple il y a une dizaine d’années une partenaire qui était dans la bagagerie, et qui suite à notre collaboration, ne fait plus que de la décoration d’intérieur. Avec cet avantage propre à la décoration : les collections sont plus pérennes – et les collaborations aussi – bien plus que dans le monde de la mode, beaucoup plus fugace.

Coques de noix de coco, raphia, sequins, cerisier du Tibet, papier dévoré washi… Où puisez-vous toutes ces ressources de matières inédites ? Comment parvenez-vous à les développer, et les combiner ? 

Ce sont beaucoup de choses que l’on voit pendant nos voyages, que l’on ramène, avec lesquelles nous tentons de dessiner. Notre métier est un métier de curiosité constante. Le monde de l’édition de tissu d’ameublement est un très vieux métier. Quand on a commencé, il y a un peu plus de trente ans, nous n’avions pas d’archives, nous partions de zéro. Nous nous sommes bâtis petit à petit, en explorant des pistes très variées, plus ou moins heureuses, plus ou moins « fun », et c’est finalement le revêtement mural qui nous a vraiment lancé : faire de belles matières pour les murs, surprenantes et de grande qualité.

Où sont principalement confectionnées les créations Elitis ?

Nous affectionnons particulièrement l’Asie, pour le savoir-faire et la dextérité incroyable des artisans. L’artisanat traditionnel y est très préservé, et nous nous comprenons rapidement avec les fabricants. Et puis en termes de matières, l’Asie est véritablement le magasin du monde, ce qui donne lieu à une multitude d’idées. Nous travaillons également beaucoup avec des façonniers en Europe, où il y a encore beaucoup de fabricants qui savent très bien travailler. 

La surprise et l’éclectisme sont les maîtres mots de vos collections. Comment cultivez-vous ces valeurs d’une saison à l’autre ? 

Nous n’avons pas de style chez Elitis. Nous avons décidé depuis le départ de nous intéresser à tous les sujets, de ne pas nous enfermer dans une esthétique ou une facture, de ne nous imposer aucun interdit. Par conséquence, les collections sont très différentes d’une année sur l’autre. La couleur est toujours présente, mais nous changeons régulièrement nos gammes, en suivant un fil conducteur tout de même, que l’on prend soin de dérouler petit à petit, d’une année sur l’autre, comme une petite musique que l’on suit et qui nous entraine. Chaque début de collection est excitant : c’est cette excitation que nous transmettons qui se transforme finalement en surprise.

Hôtels de luxe à Dubaï, en Grèce ou en Italie, appartements privés à New-York, Paris ou aux Pays-Bas… A qui s’adresse Elitis ? Quel sont les projets dans lesquels vos réalisations s’expriment le mieux ? 

Nous faisons du très haut-de-gamme, pour des hôtels de luxe ou des maisons de couture, comme du particulier, ce qu’on appelle le retail. Notre gamme de prix est assez élevée mais couvre tout de même différents segments commerciaux. Hormis nos points de distribution – volontairement très sélectifs – qui se trouvent dans le monde entier, nous avons également des showrooms dans des villes comme Paris ou
New York dans lesquels nous présentons nos collections, et dans lesquels tout le monde peut se rendre. Les Etats-Unis sont un marché particulièrement porteur, suivi de l’Europe, dont historiquement la France, devant les Emirats ou la Russie qui sont davantage en veille en ce moment dû aux conflits et embargos. Les collections restent les mêmes pour toutes les zones, bien qu’il nous arrive aussi de travailler sur des commandes spéciales. Nous avons d’ailleurs une division chez Elitis entièrement dédiée au sur-mesure pour travailler sur des dimensions spéciales, comme les panoramiques par exemple, ou bien sur le développement de commandes particulières et exclusives. Nous avons encore un autre service spécialisé dans l’hôtellerie, qui s’occupe de développer des produits très techniques, assurant notamment des résistances supérieures. 

En 2017, pour les 30 ans de la maison, Elitis organisait l’exposition « Un autre regard » à La Cour du Marais, à Paris. Quelle est la place accordée à la transmission dans votre métier ?

L’exposition était destinée à montrer les produits phares qui avaient été imaginés pendant trente ans. Au-delà de la technique, ce qui nous plait c’est de transmettre l’envie. Nous ne sommes pas une manufacture à proprement parler, l’idée n’est pas de transmettre un savoir-faire, comme le ferait un ébéniste ou un autre artisan. Nous voulons davantage transmettre notre façon de travailler : une méthode empirique, mais appliquée, étudiée. Nous avons gardé un côté très manuel, avec le dessin, mais aussi les recherches, les maquettes. L’exposition était également l’occasion de partager toutes ces choses mais également des ouvrages, des références. Une nouvelle génération reprend peu à peu le flambeau chez Elitis, et les choses se passent très bien grâce à cette transmission.

La notion de rareté est-elle importante pour vous ?

Non. Pas nécessairement. Au contraire, notre objectif serait plutôt de vendre des choses belles au plus grand nombre.

Quels challenges pour demain ?

Tenir. Il y a des challenges commerciaux, certes. Mais le défi est aussi de continuer à donner envie aux gens de s’entourer de belles choses. Très souvent, ce qui se passe, c’est que l’on voit des choses belles autour de nous, à travers nos voyages ou des ouvrages, et nous avons envie de les partager. Il nous arrive parfois de rentrer dans un lieu, voir une porte et d’un seul coup se dire « cette porte est magnifique, il faudrait que l’on essaie de montrer ça aux gens ». Sans cela, cette porte ne restera visible qu’à un seul endroit dans le monde. Souvent, ça peut être aussi simple que ça : un désir de communiquer les belles choses. Et ce désir sera toujours vivant. C’est sans fin.

INFORMATIONS PRATIQUES

Crédits © 2020 texte – Emmanuelle Oddo
Photos © Elitis
Article issu de la Revue n°2 selon ARCHIK