ALISON THIRION

Du dessin préparatoire au volume, Alison Thirion joue avec les perceptions, donnant forme à des céramiques graphiques et sculpturales, réalisées une à une à la main et en petites séries.

Au gré de ses collections, elle pétrie la terre comme les références au passé. Musique, littérature ou architecture : les arts sont partout. Ils infusent son travail et inscrivent ses pièces dans une relative intemporalité. Rencontre au coeur de son atelier en région parisienne, là où la tête pense, la main transforme, la terre cuit et la chimie opère.

E—O Alison, pourriez-vous nous parler de votre parcours ? Comment la terre et le volume sont entrés dans votre vie ?

A—T Bien que ma formation initiale soit éloignée de l’artisanat d’art (ndlr : elle a travaillé comme chargée de pub pendant plusieurs années), j’ai toujours cultivé intimement et avec passion un univers créatif ponctué d’expérimentations, de photographies, de peinture… avec le dessin comme fil rouge. C’est lors d’un cours d’expression plastique, où nous travaillions sur la forme et l’abstraction, que j’ai eu envie d’expérimenter le volume. À ce moment-là je tournais en rond dans ma pratique artistique, j’ai senti le besoin d’évoluer autrement vers la forme et la terre est apparue comme une évidence. Après des cours de loisirs, ma décision était prise, la céramique prenait toute la place, je ne pensais plus qu’à ça ! J’ai donc entamé une reconversion auprès de Grégoire Scalabre qui m’a formé au tournage, et qui reste aujourd’hui mon référent. Le dessin est toujours là, sous une autre forme !

Quel rapport entretenez-vous avec votre atelier ? Comment influe-t-il sur votre manière de travailler ?

Lorsque j’ai commencé la céramique, j’ai quitté Paris pour m’installer dans un petit village à 50km de Paris, au coeur de la forêt de Rambouillet. Je suis entourée de nature c’est donc très paisible et parfait pour me concentrer. Au départ, mon atelier était dans un petit coin de la maison mais j’ai finalement investi tout le salon pour travailler… C’est dire l’influence ! Je me levais parfois la nuit pour défourner ou à l’aube pour tourner. Je ne compte plus les journées et semaines qui ne se terminaient jamais ! Aujourd’hui les choses s’organisent autrement. J’y suis toujours comme chez moi, même si plusieurs kilomètres nous séparent. J’y ai mes habitudes, mes repères, c’est mon refuge. C’est là que tout commence. L’atelier évolue en même temps que moi, j’y bouge souvent les choses pour qu’il soit toujours le plus adapté à mes besoins.

Vos créations semblent se situer entre tradition et contemporanéité. Que voulez-vous transmettre à travers elles ? Une certaine idée de l’intemporalité ?

Je cherche avant tout à faire des objets singuliers, équilibrés, décalés, que l’on a l’impression d’avoir toujours connus, mais en même temps que personne n’a jamais faits. J’aime que mes céramiques soient épurées dans la forme et qu’elles gardent la vibration du fait main. Mes connaissances assez limitées en céramique (je m suis un peu rattrapée depuis !) m’ont permises d’être très libre dans la création. J’ai pris le temps de faire des choses personnelles, qui me ressemblent. J’essaie donc de transmettre à travers elles l’exigence de la matière, sa force et sa fragilité, mais aussi la pluralité qu’elle permet et son intemporalité en effet…

Toutes vos pièces sont produites en petites séries, et bien évidemment à la main : une contrainte technique ou une réelle conviction ?

J’ai appris à tourner parce que je voulais faire, produire, toucher. J’ai besoin de ce contact avec la matière et je passe beaucoup de temps à la fabrication de mes pièces. Et puis j’aime le caractère unique que ça leur donne. De toute façon, j’ai un petit atelier et un petit four, qui ne me permettent ni une grosse production, ni de grosses pièces… pour l’instant en tout cas !

À travers les collections « Cocteau » ou bien « la Muralla Roja », on peut ressentir l’importance du passé et de son empreinte, le désir de transmettre ou perpétuer un héritage culturel. Quel est votre rapport à l’histoire ?

Je travaille beaucoup en amont de la réalisation d’une pièce. Le dessin, l’architecture et toutes les formes d’art sont des sources inépuisables d’inspiration. J’aime beaucoup la céramique, évidemment, mais finalement ce n’est pas cette discipline qui inspire le plus mes pièces. Je m’en détache souvent pour aller puiser ailleurs. Ces deux collections sont liées à mon histoire personnelle. Je dessine depuis petite et Cocteau est un artiste dont j’admire l’audace et la pluralité. Son approche du plein et du vide, la symétrie des corps et la poésie de son trait s’associent parfaitement à la porcelaine. Quant à la Muralla Roja, c’est un clin d’oeil à mon intérêt pour l’architecture et à mes origines espagnoles. Plus qu’un vase, qu’une tasse, mes pièces sont un peu unepart de moi, de ma personnalité que je transmets à travers elles.

Avec votre collection Muralla, vous sortez pour la première fois du monochrome pour faire entrer la couleur dans votre travail. Comment avez-vous appréhendé cette audace chromatique ?

Je dois vous avouer que la couleur me fait un peu peur autant qu’elle me fascine. Elle est puissante, complexe et selon moi doit apporter quelque chose à la pièce. Si elle est juste décorative, cela ne m’intéresse pas vraiment. Je lui préfère alors la couleur naturelle de la terre, souvent parfaite. Ici le bleu fait référence à la méditerranée, les nuances d’ombre et de lumière de la Muralla Roja, le ciel. On y voit parfois un clin d’oeil à Majorelle ou à la Grèce, pourquoi pas ! J’aime que chacun s’approprie l’histoire.

Comment avez-vous choisi de traduire dans cette collection l’esthétisme constructiviste de ce chef d’oeuvre post moderniste ?

Je voulais que l’objet soit inspiré et utilise les codes de cette architecture de Ricardo Bofill, sans pour autant simplement reproduire. On retrouve les nombreux escaliers dans les découpes des pièces, et l’installation de cubes permet de retrouver les lignes. La photo et la mise en scène de mes pièces font d’ailleurs partie intégrante de l’objet. Celam’aide à transmettre leur histoire justement et à les intégrer dans un univers.

Que représente la ville pour vous ?

La ville m’inspire, son architecture notamment. J’aime lui emprunter des détails. Je suis d’ailleurs plus à l’aise à l’idée de m’emparer d’un sujet déjà passé par l’homme ; l’art, l’architecture par exemple sont des thèmes qui nourissent mon travail. La nature, elle, est si parfaite qu’elle a quelque chose de sacré. J’ose moins m’y aventurer.

Quelle importance a pour vous le contact avec la matière ?

Lorsque je passe du dessin à la terre, j’ai besoin de tous mes sens. Ça commencedès le pétrissage de la terre, son humidité, sa fermeté, son odeur, sa couleur… C’est une expérience à chaque fois. Je ne pourrais pas m’en passer. J’ai des pièces complexes à réaliser. Inconsciemment je pense que je rallonge le moment du contact avec la matière, le façonnage pendant lequel je découpe, gratte, peaufine la terre crue. C’est mon moment préféré.

Le dessin compte beaucoup dans votre travail. Mais laissez-vous place à l’improvisation ?

Malheureusement non. C’est quelque chose que j’aimerais savoir faire, être plus spontanée. Mais le travail en amont et le dessin sont des étapes dont je ne sais pas encore me passer. J’ai besoin de collecter des mots, des images, puis de faire des croquis et d’étudier les proportions avant de me lancer. Quand je passe à la réalisation, la pièce est déjà bien aboutie, il ne me reste plus qu’à tester ses volumes.

La création manuelle est souvent un exercice solitaire qui permet de se recentrer sur l’essentiel. Mais aimeriez-vous être entourée pour créer ? Avez-vous fait des collaborations avec d’autres créateurs ?

J’aime être seule dans l’atelier. Ça n’a pas toujours été le cas. J’ai mis du temps à m’y faire car j’aimais partager mon espace de travail. Au-delà de l’aspect pratique, c’est aussi une autre énergie. On peut échanger, se donner des conseils, simplement discuter. Maintenant que je suis seule, en effet, les collaborations commencent à voir le jour. Il y a un projet avec la céramiste Emmanuelle Roule encore en sommeil mais qui, je l’espère, verra bientôt le jour. Il y a également une collaboration avec Pia Van Peteghem qui sera exposée lors des Journées de la Céramique au sein du quartier Saint Sulpice à Paris (27 au 30 juin 2019).

Quelle sera la thématique de votre prochaine collection ?

J’ai plein d’envies et des projets qui attendent de voir le jour, depuis longtemps pour certains. C’est important pour moi de prendre le temps. J’ai des carnets et des planches d’inspiration qui commencent à se multiplier. Je laisse mûrir les idées. Ça me permet de faire le tri car il y en a beaucoup, mais elles ne sont pas toujours bonnes ! À court terme, je voudrais développer la collection Intervalle qui me tient à coeur, composée de pièces fortes et singulières sortant un peu de l’univers de l’art de la table, notamment avec une lampe. J’aimerais aussi explorer davantage la terre nue. Affaire à suivre…

Des adresses favorites à Paris ?

Le Musée Guimet : c’est une superbe source d’inspiration et la modernité de certaines pièces, pourtant centenaires, est vraiment étonnante. Les Ateliers de la Manufacture de Sèvres valent aussi le coup d’oeil quand on aime la céramique et les ateliers. Sinon, j’adore la librairie Yvon Lambert, rue des Filles du Calvaire, et la boutique À Rebours pour sa sélection pointue. Ça fait longtemps que je n’ai pas flâné à Paris, ça me donne envie.

INFORMATIONS PRATIQUES

Crédits ©2020 Texte – Emmanuelle Oddo
Photos – Gaëtane Girard & Tiphaine Caro
Article issu de la Revue n°l selon ARCHIK