AGRICULTURE URBAINE

Reconnecter le citadin au vivant et à la terre nourricière est le grand enjeu d’aujourd’hui et de demain. Une nécessité d’autant plus urgente que nos métropoles ont bien souvent perdu les odeurs mais aussi le goût, comme à Marseille où l’espace naturel était en voie d’extinction.

Chaque mardi, c’est le même défilé au Talus, un projet de micromaraîchage installé entre deux bretelles de la toute nouvelle rocade L2, au nord de Marseille. Mais pas celui de personnes auxquelles on pourrait penser (bobos, retraités, écolos intégristes). C’est un joyeux mélange de populations, avec pour seul trait commun que toutes habitent en ville. Dans l’une de celles où la nature avait quasiment disparu, chassée par l’urbanisation galopante qui a grignoté peu ou prou toutes les terres cultivables et espaces verts disponibles depuis l’après-guerre.

À la tête de l’association Heko qui pilote le projet, Fréderic Denel, ancien entrepreneur dans le commerce électronique reconverti dans les projets agro écologiques, est un idéaliste mais pas un doux rêveur. « Il est clair que l’agriculture urbaine ne va pas nourrir tout le monde. C’est par contre un moyen de sensibiliser et d’éduquer les citoyens à la problématique de la souveraineté alimentaire et à l’alimentation durable. C’est aussi créer des vocations en inventant une nouvelle agriculture qui permettra à des jeunes comme Carl Pfanner et Valentin Charvet (ndlr : les deux gestionnaires du Talus) d’être rémunérés convenablement en exerçant un métier qui a du sens. C’est déjà beaucoup. »

L’exemple du Talus est en ce sens assez emblématique de ce travail de reconquête à la fois physique – reprendre possession des surfaces cultivables laissées en déshérence entre les îlots de béton – et psychologique – faire comprendre qu’il est possible de se nourrir et consommer autrement. Et force est de constater qu’après seulement un an d’un laborieux travail de déblaiement, tri et valorisation du lieu, l’intérêt des riverains mais aussi de personnes venues de beaucoup plus loin va grandissant. « Un mélange de population d’une richesse incroyable qui redonne foi en l’humanité » confie-t-il tout sourire.

Les uns prennent de leur temps pour venir prêter main forte à l’aménagement lors de chantier participatifs : celui en cours consiste par exemple en l’aménagement d’un jardin méditerranéen en terrasses avec des arbres et des plantes aromatiques. Il va surplomber la mare et le futur restaurant qui servira des repas bon marché à base de produits bio et locaux. Les autres viennent se renseigner et réserver un bac d’environ un mètre carré : un micro-jardin dans lequel ils pourront faire pousser chaque saison jusqu’à six espèces de plantes (basilic, romarin, tomates, courges, etc.). Près de mille bacs accueilleront prochainement cette micro-agriculture hors-sol de l’autre côté de l’autoroute sur un nouveau terrain, bétonné celui-ci de 6 000 m2.

Le plus facile est paradoxalement de trouver ces parcelles. Le plus complexe reste de convaincre les pouvoir publics et ne pas être découragé par la lourdeur et les imbroglios administratifs qui peuvent survenir. « Enormément de terrains vont être mis à disposition via des appels à projets. Mais cela peut prendre des années (parfois jusqu’à 10 ans) entre le moment où la collectivité décide de changer l’affectation du PLU et l’autorisation d’exploiter. Heko a de nombreux dossiers similaires sous le coude en attente de validation. Mais le plus ambitieux reste de prouver la rentabilité de 3 à 5 ans du Talus afin de pouvoir le dupliquer et répondre à l’urgence. « Quand on trace une courbe à 20 ans, on ne sait pas qui va produire une nourriture durable. L’âge moyen de l’exploitant agricole aujourd’hui est de 57 ans. 60000 fermes ont disparu depuis 40 ans, et une ferme sur deux n’a pas de repreneur. La grande majorité des agriculteurs et maraîchers qui vont arriver sur le secteur sont des néos. Pourquoi ? Tout simplement parce que depuis 50 ans, les fils et filles d’agriculteurs ont fui le métier en voyant leurs parents galérer et leur exploitation dépérir.

Notre rêve ultime serait de transformer en maraîchers les jeunes de la cité voisine (Air Bel) pour qu’ils s’installent en périphérie. C’est un des rares métiers ou l’on peut accueillir des personnes de toutes origines, âges et niveaux d’éducation ». Pour l’heure ils ne sont pas très nombreux à avoir quitté le seuil des barres d’immeubles. « Ce sont des gens qui vivent en marge et à qui on a fait des promesses non-tenues pendant des années. Ils sont devenus très méfiants et ont raison de l’être. Il faut aller les prendre par la main, tour par tour, palier par palier ». Alternatives aux jardins ouvriers ou partagés, ces offres proposent néanmoins une réponse beaucoup plus pragmatique et pédagogique aux jeunes générations, ces millenials ultras connectés mais qui ont beaucoup moins les pieds sur terre.

Si l’arrivée de l’agriculture en ville semble si spectaculaire, c’est qu’on revient de loin. Ce sont les premiers marchés paysans, il y a à peine plus de 10 ans, qui ont démontré pour la première fois qu’une distribution des produits de la terre en circuits courts et la limitation des intermédiaires permettaient de s’alimenter avec de bons produits et à bon prix.

Dans la foulée se sont créées des épiceries paysannes dans chaque quartier de la ville afin de pouvoir répondre quotidiennement à la demande, mais aussi des systèmes de panier pour faciliter la tâche d’approvisionnement d’urbains pas toujours véhiculés. Deux initiatives qui apportaient aussi des réponses à nos préoccupations environnementales : la limitation (voire la suppression pour les épiceries de vrac) des emballages et des déchets polluants.

Les rares maraîchers ayant survécus sur les extérieurs de Marseille à la pression des lobbies de l’agro-alimentaire ont vu arriver sur leurs terres des néo-paysans qui, à défaut d’avoir toujours l’expérience requise, étaient emplis de bonne volonté.

Ainsi le « Mas des Gorguettes » (une bastide de Sainte Marthe dans les quartiers Nord de la ville) fût-il transformé avec succès en ferme maraîchère. Les quatre jeunes porteurs du projet Terre de Mars, initialement architectes-paysagistes et urbanistes, étaient persuadés qu’une relocalisation de la production agricole en contexte méditerranéen était possible. Et ce, afin de répondre à une demande de production de légumes saine et locale, mais aussi préserver des terroirs fertiles à l’orée des villes. La découverte de ce lieu entre garrigues et cités est assez bluffante et dépaysante.

Le Fonds Epicurien, qui finance des actions sous forme de prêts d’honneur et fonds d’amorçage auprès d’associations et entreprises agissant sur le territoire de Provence, y a été bien sûr sensible. « L’alimentation durable, c’est du circuit-court, une culture raisonnée et sans produit chimique » rappelle Thomas de Williencourt à sa tête. « L’idée in fine est de prouver que l’on peut produire sur place de très bons produits pour éviter de les faire venir du bout du monde avec une empreinte carbone catastrophique pour la planète. Terre de Mars a commencé comme une ferme urbaine et se diversifie maintenant en transformant leurs produits pour les entreprises et les particuliers directement sur place. Le Fonds permet de donner de la visibilité au projet, de le soutenir au lancement par des mises en relation. Ils ont ainsi réussi à financer la création de leur hangar professionnel avec une chambre froide pour le stockage des légumes, un centre d’emballage des œufs et un espace de valorisation culinaire des produits agricoles ». C’est aussi ce qui s’est passé avec les Champignons de Marseille, start-up qui s’est spécialisée dans la culture circulaire, en transformant les mous de café de restaurateurs marseillais en terreau fertile pour ses spores. Les champignons frais reviennent eux sur les meilleures tables de la ville (comme celle de l’Intercontinental) et le compost obtenu comme engrais fertile pour les fermes urbaines dans une démarche zéro déchet.

« Dernier projet que nous soutenons et auquel nous croyons beaucoup, c’est celui du Paysan Urbain qui se développe au Cloître, un pôle d’innovation et d’entrepreneuriat social également dans les quartiers Nord de Marseille. » Initié par Benoît Liotard en Seine- Saint-Denis il y a quatre ans, le projet entend produire des micro-pousses. Ces nouveaux produits entre la graine germée et le mesclun plaisent beaucoup aux consommateurs pour leurs qualités nutritives et leurs goûts mais aussi aux restaurateurs pour leurs couleurs qui rendent les plats très désirables. Afin d’impliquer davantage encore les citoyens- consommateurs aux bienfaits de l’agriculture circulaire et du recyclage, des bacs à compost commencent à fleurir ici et là pour récupérer les déchets bio- organiques dans la ville. On mesurera néanmoins l’énorme retard pris sur des pays comme la Suède qui entendent être indépendants énergiquement grâce à leur bioénergie. Les actions de sensibilisation commencent néanmoins à porter leurs fruits. Un lieu vient de naître à Marseille qui pourrait résumer la prise de conscience, l’envie d’agir au quotidien et de penser demain : la Cité de l’agriculture, sobrement baptisée « lieu de vie autour de l’agriculture (en ville) pour la transition agro écologique ». Une sorte de hub animé par Marion Schnorf et Bastien Bourdeau et toute une équipe de jeunes gens qui proposent des ateliers, des événements, des projections sur les enjeux agricoles et alimentaires. Ici, la cantine propose un nouveau modèle de restauration collective qui met en valeur le produit, décrit ses moyens de production et ses bienfaits nutritifs. Entre bottes de pailles et ouvrages de références sur l’alimentation durable, on n’y oublie pas le plaisir d’apprendre et le bonheur de retrouver le vrai goût des choses.

INFORMATIONS PRATIQUES

Le Talus
603 rue Saint-Pierre, 13012
www.letalus.com

Terre de Mars
25 impasse du Four de Buze, 13014
www.terredemars.fr

Cité de l’agriculture
37 boulevard National, 13001
www.cite-agri.fr

Les Champignons de Marseille
89 traverse Parangon, 13008
www.champignons-marseille.fr

Le Fonds Epicurien
24 rue Neuve Ste-Catherine, 13007
www.fonds-epicurien.fr

Le Paysan Urbain
20 bd Madeleine Rémusat, 13013
www.lepaysanurbain.fr

Crédits ©2020 Texte et Photos – Eric Foucher
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