Samuel Tomatis

S’inspirer du vivant comme modèle de création pour faire d’un déchet local un biomatériau aux potentialités multiples. Portrait d’un designer engagé.

Diplômé de l’ENSCI – Les Ateliers en 2016, Samuel Tomatis développe depuis cinq ans un travail de recherche situé au carrefour des sciences, de l’environnement et du design. Nommé Alga, son projet s’intéresse aux potentialités d’un déchet local encore peu étudié : l’algue marine. Du mobilier domestique jusqu’aux panneaux utilisés pour la construction en passant par les contenants alimentaires, le végétal s’élève du rang de plante invasive à celui de biomatériau fascinant.

Samuel, tu es designer, diplômé de l’ENSCI et finaliste de la 14ème édition de la Design Parade, à Hyères en 2019, où tu présentais ton projet de biodesign Alga. En quoi consiste exactement ce travail de recherche ?

Le projet Alga consiste à valoriser et transformer les algues de Bretagne pour créer de nouveaux matériaux et de nouveaux objets. J’ai initié ce projet durant mon diplôme à l’ENSCI en 2016 et j’ai pu par la suite le poursuivre grâce à la bourse Agora que j’ai remportée l’année suivante. Cela fait aujourd’hui cinq ans que je mène ce travail de recherche à temps plein. Cette étude est partie d’un constat effectué en me promenant sur les plages de Bretagne où j’ai découvert le phénomène catastrophique des marées vertes : tous les ans, au printemps et à l’été, des centaines de tonnes d’algues s’accumulent sur les plages, entrent à putréfaction et créent ainsi des gaz toxiques (de l’hydrogène sulfuré).

L’intention du projet a alors été d’élever ce déchet au rang de production positive et durable pour créer des matériaux qui servent au design ou à l’architecture. Pour cela, j’ai d’abord commencé à travailler de manière empirique et artisanale, avant de me rapprocher de scientifiques pour collaborer avec eux dans des laboratoires sur des processus industriels. Aujourd’hui, je combine réellement ces deux démarches, inhérentes à ma pratique : la démarche artisanale, dans laquelle j’œuvre comme un designer avec des artisans dans mon atelier, combinée à une démarche scientifique pour laquelle je collabore avec des chimistes et des biologistes, afin de créer différentes typologies de matériaux et d’analyser leurs caractéristiques intrinsèques.

Ce projet se situe au carrefour de biologie, science, design et écologie : comment s’organise le travail de développement et de conception entre ces différents interlocuteurs ?

Le but est de mettre en place une économie circulaire où chacun est acteur du cycle de vie des matériaux et des objets : les goémoniers travaillent sur l’extraction de la matière première, les chimistes et les biologistes définissent en laboratoire les différentes typologies de matériaux, et les artisans ou entreprises interviennent sur la mise en forme de ces matériaux.

Globalement comment le projet a-t-il été reçu ?

Alga a plutôt été bien reçu. Tout de suite, le projet de recherche et son approche écologique – utiliser un gisement perçu comme un déchet, le valoriser et trouver des solutions pour remplacer le plastique – a intéressé les scientifiques travaillant  sur les agromatériaux, notamment le Laboratoire de Chimie Agro-industrielle, basé à Toulouse et à Tarbes, avec qui je collabore encore aujourd’hui.

En 2019 également, tu participais à la fameuse exposition intitulée « La Fabrique du vivant » qui se déroulait au Centre Pompidou. Le bio-mimétisme a toujours été au centre de ton travail. À l’origine, d’où te vient cet intérêt pour le vivant et l’environnement ?

Je crois que je tiens ça des différents endroits où j’ai grandi : la montagne en Haute Savoie, la Côte d’Azur à Nice, la campagne à Brives : ces trois environnements, proches de la nature ont nourri ma sensibilité au vivant et le plaisir d’étudier des choses tangibles.

 

À ton sens, quelle est la responsabilité de l’art et du design envers les problématiques environnementales actuelles ?

L’art, comme le design, doit avoir un œil critique sur la question. Il me semble qu’aujourd’hui, un concepteur designer se doit vraiment de penser le design de la manière la plus responsable possible, car notre impact est évident. À partir du moment où l’on commence à dessiner un projet, il faut tout de suite penser à comment réduire l’impact environnemental de ce dernier.
Le design et l’architecture sont partout, ils font notre quotidien. Le rôle du designer, qui se situe en début de chaine de conception du produit, doit être de redéfinir les usages, les modes de production et de consommation, de sensibiliser et guider le consommateur qui va utiliser ces objets qui auront été dessinés et produits.

Quelles sont les spécificités et les potentialités des biomatériaux que tu parviens à développer à partir de l’algue ?

Globalement, il y a plusieurs familles de biomatériaux développés grâce au projet Alga. Les matériaux rigides servent à la mise en forme d’objets pour le mobilier et l’espace domestique, à la création de contenants alimentaires, d’outils pour l’horticulture, de briques pour la construction. On peut également se servir de l’algue pour fabriquer des pigments pour la teinture, des émaux pour la céramique. L’algue peut être utilisée pour faire les assemblages en vannerie, ou être tissée pour servir à des projets de mode ou d’ameublement. On peut en faire du papier pour le packaging ou l’édition… Par ailleurs, les matériaux souples vont servir quant à eux à la confection d’articles de maroquinerie, à la tapisserie ou la sellerie.

Les possibilités sont très nombreuses. Les expérimentations formelles permettent de se projeter sur une multitude d’applications qui vont du luxe au conditionnement industriel. Le but est d’explorer sans limite ce que l’on peut faire avec les algues.

Parmi les caractéristiques techniques de ce biomatériau qui le rendent si fascinant à travailler, on peut noter sa forte résistance mécanique : les matériaux rigides sont semblables à des panneaux de particules type dalles OSB ou bois aggloméré, sauf que leur assemblage ne nécessite pas de solvants chimiques. Nous sommes face à des matériaux qui s’assemblent à l’eau, qui sont aquacollés plutôt que thermocollés, ce qui est très intéressant d’un point de vue écologique.

Les matériaux souples eux, se révèlent plus résistants que du plastique, on pourrait les comparer davantage à du cuir sauf qu’ils sont en outre dotés d’une qualité d’opalescence qui leur confère une capacité à laisser passer la lumière.

Tous sont biodégradables, ce qui permet de travailler dans une démarche « cradle to cradle » : extraite de la mer, la matière, utilisée brute et sans additif, revient à la terre sans que l’on ait à gérer son recyclage – elle peut se composter de manière domestique. Les objets qui en découlent ne sont autres que du végétal et ne produisent ainsi aucun déchet à leur fin de vie.

D’un point de vue esthétique enfin, le biomatériau algue offre un panel de couleurs naturelles infini, là encore obtenu sans avoir recourt au moindre procédé chimique.

D’après toi, quels seraient les freins et les possibilités d’application à une échelle industrielle ?

La plupart des biomatériaux développés au sein du projet Alga sont industrialisables : le panneau de particules, les contenants alimentaires, les briques, les outils d’horticulture, les émaux, le packaging, le papier bulle, le sac à compost… Cependant, le but est moins d’aller vers une industrialisation de masse que de repenser une nouvelle forme d’industrialisation, comme on peut déjà le voir dans l’agriculture par exemple.

 

Aujourd’hui les algues sont récoltées, mais peut-être faudra-t-il dans quelques temps les cultiver, dans tous les cas ce biomatériau est dépendant des saisons : il s’agit alors de sortir d’une production massive et d’inventer un modèle qui suive le rythme de la nature et qui ait une forme de résilience, notamment face aux problèmes de stocks puisqu’il s’agit d’une matière saisonnière. Alors, certes, tout cela revient  plus cher que du plastique, mais il faut choisir ses priorités.

Mobilier, textile, outils pour l’horticulture, matériaux de construction, packagings alimentaires : le projet Alga semble déjà largement développé. Quels sont tes prochains axes de réflexion ou prochains objectifs ?

Je travaille actuellement sur un projet qui se déroule à Madagascar. Il s’agit d’une résidence au Lab Ndao, initiée par Rubis Mécénat, qui vise à collaborer avec les jeunes de l’île en réinsertion, toujours sur la transformation et la revalorisation des algues. Le but ici est de transmettre un savoir pour qu’ils puissent créer par la suite des entreprises locales. Après cinq ans de recherche, il est temps de faire exister le projet auprès du grand nombre.

INFORMATIONS PRATIQUES

Crédits © 2021 texte – Emmanuelle Oddo
Photos © Danaé Agnèse & Matthieu Barani

Article issu de la Revue n°3 selon ARCHIK

ÉLITIS

Maison d’exception, Elitis édite depuis 1988 des tissus et revêtements muraux inédits, entre innovation technique et chef d’œuvre artisanal. Rencontre.

Lins ajourés, tressages de jacinthe d’eau, impressions sur fil à fil ou bambous tressés… Les créations qui jalonnent l’histoire de la maison surprennent par leur précision, leur pertinence et leur éclectisme. C’est en bordure de Toulouse, dans un site baigné de lumière, que l’éditeur a choisi de s’implanter. Ici, le bureau de style formé à l’origine par Marie Papillaud et Vincent Gevin, officie chaque jour pour cultiver cette vision expérimentale.

Marie, Vincent, pourriez-vous nous parler du site où nous nous trouvons ? Comment a été pensé l’agencement d’un tel espace ?

Patrice Marraud des Grottes a voulu faire construire en 1995 un lieu de travail qui soit convivial, où l’on puisse se retrouver. Pour des raisons familiales, il a choisi un site à Toulouse, dans le quartier de Montaudran. Vincent et moi étions déjà là. Nous étions à l’époque très peu nombreux, presque perdus dans ces immenses pièces. Mais l’espace était déjà chaleureux, avec cette grande cuisine centrale et sa table généreuse, sa cheminée allumée l’hiver ou encore son jardin dont nous profitons l’été. Aujourd’hui, nous sommes une cinquantaine de personnes, contre une dizaine à la création d’Elitis en 1988. Le rez-de-chaussée accueille les fonctions administratives, la comptabilité et les commerciaux qui prennent des commandes toute la journée auprès de nos clients ou nos agents à l’étranger. À l’étage, nous retrouvons le style et le marketing. Mais bien qu’une division soit opérée par les deux niveaux, l’espace ne comporte pas de cloison, tout est pensé en open-space, et dans ce sens-là, nous partageons beaucoup de choses, notamment visuelles.

Comment s’organise la création autour du bureau de style ?

Dix personnes composent le bureau de style, dont six qui dessinent, et les autres qui développent les collections. Historiquement Marie et moi avons créé le bureau de style, mais il n’y a pour autant aucune hiérarchie aujourd’hui. Au début de l’année nous faisons des panneaux de tendances, pour avoir une idée globale de la direction graphique. On est très axé matière chez Elitis, donc nous réfléchissons énormément en fonction du cahier des charges que nous devons respecter pour développer nos collections de papiers peints, revêtements muraux et textiles, à sortir pour septembre et janvier.

Nous sommes éditeur, nous ne fabriquons pas : nous avons des fabricants partout dans le monde en fonction des produits que nous développons. Nous essayons donc de voyager beaucoup pour découvrir de nouveaux partenaires, voir si leur manière de travailler nous donne des idées pour développer des dessins et de nouvelles matières. Pour le textile, même chose :
chaque nouveau besoin en velours, lin, jacquard ou broderie est l’occasion de sourcer de nouveaux fournisseurs. Chaque nouveauté chez Elitis découle d’une opportunité de développement identifiée chez un fabricant, et qui n’avait jamais été exploitée dans le monde du tissu d’ameublement, du revêtement mural ou du papier peint. C’est toujours le résultat d’une rencontre et d’un partenariat. 

Les créations Elitis se situent à mi-chemin entre savoir-faire artisanal et recherche innovante. Comment assurez-vous cet équilibre ? 

Nous ne sommes pas toujours dans l’innovation, parfois il peut s’agir de choses très traditionnelles que l’on sort de leur contexte et que l’on adapte à nos supports : un panier de superbe confection glané en Asie par exemple, que nous allons tenter de reproduire en mural. La recherche et le développement de nouveautés peuvent être très longs, voire parfois ne jamais aboutir. L’intuition et l’entente sont très importantes aussi : si nous n’arrivons pas à nous entendre avec le fabriquant, c’est que nous ne sommes pas au bon endroit. Si le contact est bon, nous imaginons des projets en fonction de ce qu’ils savent faire, nous n’essayons pas de leur demander l’impossible. Tout au plus, nous souhaitons qu’ils cherchent des solutions, grâce à leur savoir-faire, pour développer des innovations. Chose qui généralement les intéresse puisque le développement de cette nouvelle technique peut leur ouvrir également de nouveaux débouchés par la suite. Nous sommes allés chercher par exemple il y a une dizaine d’années une partenaire qui était dans la bagagerie, et qui suite à notre collaboration, ne fait plus que de la décoration d’intérieur. Avec cet avantage propre à la décoration : les collections sont plus pérennes – et les collaborations aussi – bien plus que dans le monde de la mode, beaucoup plus fugace.

Coques de noix de coco, raphia, sequins, cerisier du Tibet, papier dévoré washi… Où puisez-vous toutes ces ressources de matières inédites ? Comment parvenez-vous à les développer, et les combiner ? 

Ce sont beaucoup de choses que l’on voit pendant nos voyages, que l’on ramène, avec lesquelles nous tentons de dessiner. Notre métier est un métier de curiosité constante. Le monde de l’édition de tissu d’ameublement est un très vieux métier. Quand on a commencé, il y a un peu plus de trente ans, nous n’avions pas d’archives, nous partions de zéro. Nous nous sommes bâtis petit à petit, en explorant des pistes très variées, plus ou moins heureuses, plus ou moins « fun », et c’est finalement le revêtement mural qui nous a vraiment lancé : faire de belles matières pour les murs, surprenantes et de grande qualité.

Où sont principalement confectionnées les créations Elitis ?

Nous affectionnons particulièrement l’Asie, pour le savoir-faire et la dextérité incroyable des artisans. L’artisanat traditionnel y est très préservé, et nous nous comprenons rapidement avec les fabricants. Et puis en termes de matières, l’Asie est véritablement le magasin du monde, ce qui donne lieu à une multitude d’idées. Nous travaillons également beaucoup avec des façonniers en Europe, où il y a encore beaucoup de fabricants qui savent très bien travailler. 

La surprise et l’éclectisme sont les maîtres mots de vos collections. Comment cultivez-vous ces valeurs d’une saison à l’autre ? 

Nous n’avons pas de style chez Elitis. Nous avons décidé depuis le départ de nous intéresser à tous les sujets, de ne pas nous enfermer dans une esthétique ou une facture, de ne nous imposer aucun interdit. Par conséquence, les collections sont très différentes d’une année sur l’autre. La couleur est toujours présente, mais nous changeons régulièrement nos gammes, en suivant un fil conducteur tout de même, que l’on prend soin de dérouler petit à petit, d’une année sur l’autre, comme une petite musique que l’on suit et qui nous entraine. Chaque début de collection est excitant : c’est cette excitation que nous transmettons qui se transforme finalement en surprise.

Hôtels de luxe à Dubaï, en Grèce ou en Italie, appartements privés à New-York, Paris ou aux Pays-Bas… A qui s’adresse Elitis ? Quel sont les projets dans lesquels vos réalisations s’expriment le mieux ? 

Nous faisons du très haut-de-gamme, pour des hôtels de luxe ou des maisons de couture, comme du particulier, ce qu’on appelle le retail. Notre gamme de prix est assez élevée mais couvre tout de même différents segments commerciaux. Hormis nos points de distribution – volontairement très sélectifs – qui se trouvent dans le monde entier, nous avons également des showrooms dans des villes comme Paris ou
New York dans lesquels nous présentons nos collections, et dans lesquels tout le monde peut se rendre. Les Etats-Unis sont un marché particulièrement porteur, suivi de l’Europe, dont historiquement la France, devant les Emirats ou la Russie qui sont davantage en veille en ce moment dû aux conflits et embargos. Les collections restent les mêmes pour toutes les zones, bien qu’il nous arrive aussi de travailler sur des commandes spéciales. Nous avons d’ailleurs une division chez Elitis entièrement dédiée au sur-mesure pour travailler sur des dimensions spéciales, comme les panoramiques par exemple, ou bien sur le développement de commandes particulières et exclusives. Nous avons encore un autre service spécialisé dans l’hôtellerie, qui s’occupe de développer des produits très techniques, assurant notamment des résistances supérieures. 

En 2017, pour les 30 ans de la maison, Elitis organisait l’exposition « Un autre regard » à La Cour du Marais, à Paris. Quelle est la place accordée à la transmission dans votre métier ?

L’exposition était destinée à montrer les produits phares qui avaient été imaginés pendant trente ans. Au-delà de la technique, ce qui nous plait c’est de transmettre l’envie. Nous ne sommes pas une manufacture à proprement parler, l’idée n’est pas de transmettre un savoir-faire, comme le ferait un ébéniste ou un autre artisan. Nous voulons davantage transmettre notre façon de travailler : une méthode empirique, mais appliquée, étudiée. Nous avons gardé un côté très manuel, avec le dessin, mais aussi les recherches, les maquettes. L’exposition était également l’occasion de partager toutes ces choses mais également des ouvrages, des références. Une nouvelle génération reprend peu à peu le flambeau chez Elitis, et les choses se passent très bien grâce à cette transmission.

La notion de rareté est-elle importante pour vous ?

Non. Pas nécessairement. Au contraire, notre objectif serait plutôt de vendre des choses belles au plus grand nombre.

Quels challenges pour demain ?

Tenir. Il y a des challenges commerciaux, certes. Mais le défi est aussi de continuer à donner envie aux gens de s’entourer de belles choses. Très souvent, ce qui se passe, c’est que l’on voit des choses belles autour de nous, à travers nos voyages ou des ouvrages, et nous avons envie de les partager. Il nous arrive parfois de rentrer dans un lieu, voir une porte et d’un seul coup se dire « cette porte est magnifique, il faudrait que l’on essaie de montrer ça aux gens ». Sans cela, cette porte ne restera visible qu’à un seul endroit dans le monde. Souvent, ça peut être aussi simple que ça : un désir de communiquer les belles choses. Et ce désir sera toujours vivant. C’est sans fin.

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Crédits © 2020 texte – Emmanuelle Oddo
Photos © Elitis
Article issu de la Revue n°2 selon ARCHIK

WILD THING

À travers sa démarche, totalement responsable, il s’attèle à ne choisir que des essences locales.

Ébéniste était une vocation pour Lorien. Ayant grandi au milieu des montagnes et des forêts ariégeoises, il a toujours eu un profond respect pour la nature. Depuis toujours admiratif de ses formes, de ses couleurs et de ses textures, il passait des heures à l’observer en détail. Et souvent enfant, dans l’atelier de son grand-père, il aimait passer du temps à le regarder travailler le bois. C’est donc tout naturellement que Lorien s’est à son tour mis à travailler ce matériau empli de souvenirs, avec la volonté de créer de ses propres mains.

Pourtant, son premier choix professionnel s’est porté sur le secteur de la glisse. Puis, il y a cinq ans, il a entrepris une reconversion au Lycée des Métiers de l’Ameublement à Revel. Une formation qui lui a permis d’acquérir les compétences et techniques nécessaires pour exercer le métier d’ébéniste, et ainsi de réaliser son rêve. Après sa formation, il travaille à Paris dans l’agencement de boutiques de luxe, puis pour l’aménagement de jets privés. Ainsi, son regard s’affûte, il se plaît alors à bâtir des espaces. Mais l’envie d’être libre de ses propres créations devient plus forte, et Lorien ouvre en 2016 son propre atelier, Wild Thing, dans le quartier de la Patte-d’oie à Toulouse. C’est dans ce nouveau cadre qu’il développe du mobilier, mais aussi des pièces plus petites et décoratives, sur lesquelles il peut expérimenter plus facilement de nouveaux designs.

Animé par le design et l’architecture, il avoue s’inspirer de la modernité de la période des années 1930 à 1960, intemporelle, et du style minimaliste et organique très actuel. Ses pièces rendent avant tout hommage à ce noble matériau, et représentent une juste balance entre une nature brute et des formes plus délicates, plus légères. Un veinage particulier, une craquelure, un défaut, sont autant de traces naturelles que Lorien met en valeur pour apporter une singularité à l’objet. Pour ses pièces de mobilier, plus abouties, il fait appel à des techniques d’ébénisterie comme le plaquage, l’assemblage, ou le cintrage, qu’il revisite ou détourne.

À travers sa démarche, totalement responsable, il s’attèle à ne choisir que des essences locales. S’il vient à mêler ses créations en bois avec d’autres matériaux, il s’attache à ce qu’ils soient issus de l’upcycling, une pratique émergente qui tend à récupérer des matériaux obsolètes afin de leur donner une nouvelle vie. Pour les chanceux toulousains, vous avez la possibilité de lui rendre visite à son atelier, où vous pourrez choisir l’essence de bois que vous souhaitez pour votre pièce sur mesure. Pour les autres, direction son site internet où un bon nombre de ses pièces sont encore disponibles !

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Wild Thing

Site Web : www.wildthing.shop
Compte Instagram : @wild_thing_workshop

Crédits photos – © Marie Marchandise

ALISON THIRION

Du dessin préparatoire au volume, Alison Thirion joue avec les perceptions, donnant forme à des céramiques graphiques et sculpturales, réalisées une à une à la main et en petites séries.

Au gré de ses collections, elle pétrie la terre comme les références au passé. Musique, littérature ou architecture : les arts sont partout. Ils infusent son travail et inscrivent ses pièces dans une relative intemporalité. Rencontre au coeur de son atelier en région parisienne, là où la tête pense, la main transforme, la terre cuit et la chimie opère.

E—O Alison, pourriez-vous nous parler de votre parcours ? Comment la terre et le volume sont entrés dans votre vie ?

A—T Bien que ma formation initiale soit éloignée de l’artisanat d’art (ndlr : elle a travaillé comme chargée de pub pendant plusieurs années), j’ai toujours cultivé intimement et avec passion un univers créatif ponctué d’expérimentations, de photographies, de peinture… avec le dessin comme fil rouge. C’est lors d’un cours d’expression plastique, où nous travaillions sur la forme et l’abstraction, que j’ai eu envie d’expérimenter le volume. À ce moment-là je tournais en rond dans ma pratique artistique, j’ai senti le besoin d’évoluer autrement vers la forme et la terre est apparue comme une évidence. Après des cours de loisirs, ma décision était prise, la céramique prenait toute la place, je ne pensais plus qu’à ça ! J’ai donc entamé une reconversion auprès de Grégoire Scalabre qui m’a formé au tournage, et qui reste aujourd’hui mon référent. Le dessin est toujours là, sous une autre forme !

Quel rapport entretenez-vous avec votre atelier ? Comment influe-t-il sur votre manière de travailler ?

Lorsque j’ai commencé la céramique, j’ai quitté Paris pour m’installer dans un petit village à 50km de Paris, au coeur de la forêt de Rambouillet. Je suis entourée de nature c’est donc très paisible et parfait pour me concentrer. Au départ, mon atelier était dans un petit coin de la maison mais j’ai finalement investi tout le salon pour travailler… C’est dire l’influence ! Je me levais parfois la nuit pour défourner ou à l’aube pour tourner. Je ne compte plus les journées et semaines qui ne se terminaient jamais ! Aujourd’hui les choses s’organisent autrement. J’y suis toujours comme chez moi, même si plusieurs kilomètres nous séparent. J’y ai mes habitudes, mes repères, c’est mon refuge. C’est là que tout commence. L’atelier évolue en même temps que moi, j’y bouge souvent les choses pour qu’il soit toujours le plus adapté à mes besoins.

Vos créations semblent se situer entre tradition et contemporanéité. Que voulez-vous transmettre à travers elles ? Une certaine idée de l’intemporalité ?

Je cherche avant tout à faire des objets singuliers, équilibrés, décalés, que l’on a l’impression d’avoir toujours connus, mais en même temps que personne n’a jamais faits. J’aime que mes céramiques soient épurées dans la forme et qu’elles gardent la vibration du fait main. Mes connaissances assez limitées en céramique (je m suis un peu rattrapée depuis !) m’ont permises d’être très libre dans la création. J’ai pris le temps de faire des choses personnelles, qui me ressemblent. J’essaie donc de transmettre à travers elles l’exigence de la matière, sa force et sa fragilité, mais aussi la pluralité qu’elle permet et son intemporalité en effet…

Toutes vos pièces sont produites en petites séries, et bien évidemment à la main : une contrainte technique ou une réelle conviction ?

J’ai appris à tourner parce que je voulais faire, produire, toucher. J’ai besoin de ce contact avec la matière et je passe beaucoup de temps à la fabrication de mes pièces. Et puis j’aime le caractère unique que ça leur donne. De toute façon, j’ai un petit atelier et un petit four, qui ne me permettent ni une grosse production, ni de grosses pièces… pour l’instant en tout cas !

À travers les collections « Cocteau » ou bien « la Muralla Roja », on peut ressentir l’importance du passé et de son empreinte, le désir de transmettre ou perpétuer un héritage culturel. Quel est votre rapport à l’histoire ?

Je travaille beaucoup en amont de la réalisation d’une pièce. Le dessin, l’architecture et toutes les formes d’art sont des sources inépuisables d’inspiration. J’aime beaucoup la céramique, évidemment, mais finalement ce n’est pas cette discipline qui inspire le plus mes pièces. Je m’en détache souvent pour aller puiser ailleurs. Ces deux collections sont liées à mon histoire personnelle. Je dessine depuis petite et Cocteau est un artiste dont j’admire l’audace et la pluralité. Son approche du plein et du vide, la symétrie des corps et la poésie de son trait s’associent parfaitement à la porcelaine. Quant à la Muralla Roja, c’est un clin d’oeil à mon intérêt pour l’architecture et à mes origines espagnoles. Plus qu’un vase, qu’une tasse, mes pièces sont un peu unepart de moi, de ma personnalité que je transmets à travers elles.

Avec votre collection Muralla, vous sortez pour la première fois du monochrome pour faire entrer la couleur dans votre travail. Comment avez-vous appréhendé cette audace chromatique ?

Je dois vous avouer que la couleur me fait un peu peur autant qu’elle me fascine. Elle est puissante, complexe et selon moi doit apporter quelque chose à la pièce. Si elle est juste décorative, cela ne m’intéresse pas vraiment. Je lui préfère alors la couleur naturelle de la terre, souvent parfaite. Ici le bleu fait référence à la méditerranée, les nuances d’ombre et de lumière de la Muralla Roja, le ciel. On y voit parfois un clin d’oeil à Majorelle ou à la Grèce, pourquoi pas ! J’aime que chacun s’approprie l’histoire.

Comment avez-vous choisi de traduire dans cette collection l’esthétisme constructiviste de ce chef d’oeuvre post moderniste ?

Je voulais que l’objet soit inspiré et utilise les codes de cette architecture de Ricardo Bofill, sans pour autant simplement reproduire. On retrouve les nombreux escaliers dans les découpes des pièces, et l’installation de cubes permet de retrouver les lignes. La photo et la mise en scène de mes pièces font d’ailleurs partie intégrante de l’objet. Celam’aide à transmettre leur histoire justement et à les intégrer dans un univers.

Que représente la ville pour vous ?

La ville m’inspire, son architecture notamment. J’aime lui emprunter des détails. Je suis d’ailleurs plus à l’aise à l’idée de m’emparer d’un sujet déjà passé par l’homme ; l’art, l’architecture par exemple sont des thèmes qui nourissent mon travail. La nature, elle, est si parfaite qu’elle a quelque chose de sacré. J’ose moins m’y aventurer.

Quelle importance a pour vous le contact avec la matière ?

Lorsque je passe du dessin à la terre, j’ai besoin de tous mes sens. Ça commencedès le pétrissage de la terre, son humidité, sa fermeté, son odeur, sa couleur… C’est une expérience à chaque fois. Je ne pourrais pas m’en passer. J’ai des pièces complexes à réaliser. Inconsciemment je pense que je rallonge le moment du contact avec la matière, le façonnage pendant lequel je découpe, gratte, peaufine la terre crue. C’est mon moment préféré.

Le dessin compte beaucoup dans votre travail. Mais laissez-vous place à l’improvisation ?

Malheureusement non. C’est quelque chose que j’aimerais savoir faire, être plus spontanée. Mais le travail en amont et le dessin sont des étapes dont je ne sais pas encore me passer. J’ai besoin de collecter des mots, des images, puis de faire des croquis et d’étudier les proportions avant de me lancer. Quand je passe à la réalisation, la pièce est déjà bien aboutie, il ne me reste plus qu’à tester ses volumes.

La création manuelle est souvent un exercice solitaire qui permet de se recentrer sur l’essentiel. Mais aimeriez-vous être entourée pour créer ? Avez-vous fait des collaborations avec d’autres créateurs ?

J’aime être seule dans l’atelier. Ça n’a pas toujours été le cas. J’ai mis du temps à m’y faire car j’aimais partager mon espace de travail. Au-delà de l’aspect pratique, c’est aussi une autre énergie. On peut échanger, se donner des conseils, simplement discuter. Maintenant que je suis seule, en effet, les collaborations commencent à voir le jour. Il y a un projet avec la céramiste Emmanuelle Roule encore en sommeil mais qui, je l’espère, verra bientôt le jour. Il y a également une collaboration avec Pia Van Peteghem qui sera exposée lors des Journées de la Céramique au sein du quartier Saint Sulpice à Paris (27 au 30 juin 2019).

Quelle sera la thématique de votre prochaine collection ?

J’ai plein d’envies et des projets qui attendent de voir le jour, depuis longtemps pour certains. C’est important pour moi de prendre le temps. J’ai des carnets et des planches d’inspiration qui commencent à se multiplier. Je laisse mûrir les idées. Ça me permet de faire le tri car il y en a beaucoup, mais elles ne sont pas toujours bonnes ! À court terme, je voudrais développer la collection Intervalle qui me tient à coeur, composée de pièces fortes et singulières sortant un peu de l’univers de l’art de la table, notamment avec une lampe. J’aimerais aussi explorer davantage la terre nue. Affaire à suivre…

Des adresses favorites à Paris ?

Le Musée Guimet : c’est une superbe source d’inspiration et la modernité de certaines pièces, pourtant centenaires, est vraiment étonnante. Les Ateliers de la Manufacture de Sèvres valent aussi le coup d’oeil quand on aime la céramique et les ateliers. Sinon, j’adore la librairie Yvon Lambert, rue des Filles du Calvaire, et la boutique À Rebours pour sa sélection pointue. Ça fait longtemps que je n’ai pas flâné à Paris, ça me donne envie.

INFORMATIONS PRATIQUES

Crédits ©2020 Texte – Emmanuelle Oddo
Photos – Gaëtane Girard & Tiphaine Caro
Article issu de la Revue n°l selon ARCHIK

PRIVATE CHOICE

Une déambulation esthète pour les amoureux de la création contemporaine, mais pas seulement.

Plus qu’une semaine avant le lancement du salon confidentiel Private Choice, à Paris.

Chaque année depuis 2013, sous la direction de Nadia Candet, une sublime collection éphémère d’oeuvres d’art et de design se déploie, le temps de la FIAC, dans un bel appartement Haussmannien, situé à quelques pas du Grand Palais.

Cette année, nous pourrons découvrir dès le 15 octobre les pièces de Constance Guisset, Yann Delacour, Mara Fortunatovich, Pierre Guariche, Carlos Cruz Diez pour ne citer qu’eux… mais aussi les créations des designers Binōme, exposés et édités par ARCHIK l’an dernier.

Pour s’y rendre, la visite improvisée n’est pas de bon ton, mais si une invitation est nécessaire, personne n’est exclu pour autant : il suffit de s’inscrire au préalable sur le site internet.

Une déambulation esthète pour les amoureux de la création contemporaine, mais pas seulement : Nadia Candet a le don de mêler les époques et confronter les genres. Eclectisme garanti !

ON AIME

La sélection éclectique et sélective

INFORMATIONS PRATIQUES

Private Choice

Adresse sur invitation – réservations en ligne
Du 15 au 21 octobre 2018
Site Web

ATELIER CHUTES LIBRES

L’association propose des ateliers dans un équilibre parfait entre bricolage et recyclage.

Ancré dans les problématiques actuelles du design-écologique, les Ateliers Chutes Libres mettent à disposition leur stock de matériaux récupérés afin de réaliser soi-même ses objets déco.

Installés depuis peu à Paris dans le Viaduc des Arts (après des résidences au Centre Pompidou ou au 104), l’association propose des ateliers de deux à quatre heures, dans un équilibre parfait entre bricolage et recyclage. Encadrés par les designers et fondateurs de l’agence Prémices and Co (Camille Chardayre, Amandine Langlois et Jérémie Triaire) ainsi que des étudiants de l’Ecole Boulle, les participants apprennent à faire leurs tracés, choisir leurs outils et matériaux qui les aideront à réaliser leurs tables, fauteuils, lampes ou rangements que l’équipe diffuse sur internet.

« Approvisionnée par les rebuts qu’accumulent les musée lors du démontage des expositions ou la livraison des œuvres, la matériauthèque pousse à la curiosité. On fouille parmi les planches brutes ou teintées, d’aggloméré ou de bambou et, si besoin, on se sert dans l’assortiment de métaux ou de cuirs glanés chez les autres artisans du viaduc. » Difficile de faire plus local !

ON AIME

Le juste équilibre entre créativité, apprentissage et recyclage !

INFORMATIONS PRATIQUES

Atelier Chutes Libres

Le Viaduc des Arts – 47 avenue Daumesnil, Paris 12e
Site Web

Galerie Armel Soyer Alps

Dans cette galerie toute particulière, le design sort du cadre, il distille de pièce en pièce une atmosphère onirique, propice au rêve et à la création.

Hors des murs de sa galerie parisienne du Marais, Armel Soyer, spécialiste des arts décoratifs du XXIème siècle, installe sa galerie dans une ancienne ferme d’alpage de 400 m2 où l’on retrouve le bonheur de l’authenticité et de la nature alentour face au Mont-Blanc.

Elle repense l’architecture intérieure avec son mari, le photographe Gilles Perner, en gardant l’esprit vernaculaire de l’extérieur afin de conserver le bâtiment dans son jus et en préservant les matériaux d’origine. Résultat : un chalet de montagne arty et chaleureux, temple du design en altitude.

Le couple vous reçoit en toute décontraction chez eux, au milieu d’une multitude d’œuvres d’art à vivre où l’on a envie de s’attarder et de s’installer comme à la maison. Véritable lieu de vie mais aussi de travail, Armel Soyer présente aujourd’hui dans sa galerie des valeurs confirmées, mais également des créateurs en devenir, une génération d’artisans et d’artistes ayant pour devise l’excellence du savoir-faire tels que Xavier Veilhan, Mathias Kiss, Julian Mayor, Lambert & Fils…

Dans cette galerie toute particulière, le design sort du cadre, il distille de pièce en pièce une atmosphère onirique, propice au rêve et à la création.

Armel Soyer

Anciennement directrice de la maison Lalique, Armel Soyer a toujours baigné dans l’univers du Beau.

Passionnée par les beaux matériaux et par l’art contemporain, elle crée sa première galerie en 2012 dans le cœur du Marais, afin de promouvoir les arts décoratifs du XXIème siècle avec un regard pointu dans la conception et la production des œuvres.

En s’appuyant sur une conception classique du design, la galerie Armel Soyer propose une approche contemporaine et globale, mettant en œuvre des savoir-faire parfois oubliés.

Les talents émergents ou reconnus peuvent s’y exprimer dans un élan commun d’inspiration, de qualité, de rareté et d’exception : « une nouvelle vision des arts décoratifs du XXIème siècle ».

ON AIME

La sélection pointue d’Armel Soyer, dans ce chalet-galerie insolite au milieu de la nature.

INFORMATIONS PRATIQUES

Armel Soyer Alps

Ferme de Prasset
73590 Mégève
Sur rendez-vous seulement

contact@armelsoyer.com
Toutes les informations sur la galerie ici.