ARCHITECTURE BALNÉAIREA l’heure où une urbanisation concertée des sites sensibles reste, sur Le territoire varois, plus que jamais d’actualité.L’avènement d’un tourisme à grande échelle va de pair avec la sortie de terre de nombreuses constructions balnéaires. Prisé, le littoral méditerranéen a été considérablement impacté par cette mutation sociale. Entre utopie et fonctionnalité, les programmes alors imaginés incarnent une pensée en mouvement et une volonté de concilier architecture, accueil du plus grand nombre et préservation environnementale. Décryptage avec Pascale Bartoli, co-fondatrice de l’agence Architecture 54 à Marseille et auteur d’un ouvrage sur la question*. Un contexte sociétal Avec les années 50 sonne l’apparition de nouveaux modes de vie. Les avancées sociales de l’aprèsguerre et notamment les congés payés imposent un tourisme désormais accessible à tous. A la fois résultat et catalyseur des mutations qui bouleversent la société des Trente Glorieuses, il favorise le progrès social et une aspiration à la liberté individuelle hors du temps de travail. En pratique, l’accroissement des revenus génère un nouvel attrait pour les vacances qui se porte tout naturellement sur les stations balnéaires et les littoraux. Sous le doux nom d’héliotropisme, encouragées par une culture qui valorise coquillages et crustacés, des foules entières se précipitent sur la côte, désireuses de goûter aux plaisirs de la plage. Conscients des enjeux économiques du tourisme, les pouvoirs publics instaurent une politique incitative à ce grand déploiement qui s’oriente majoritairement vers 3 territoires : le Languedoc-Roussillon, les Alpes Maritimes et le Var qui, chacun développe en fonction de son histoire, de son attractivité et de ses atouts, des modèles propres. Trois modèles Sur le littoral languedocien, les mutations accompagnées en 1963 par la mission interministérielle Racine reconnaissent le principe de six unités touristiques sur 180 km de littoral. Saint-Cyprien, Leucate – Le Barcarès, Gruissan, le Cap d’Agde, la Grande Motte et Port Camargue, séparés par de vastes zones naturelles, voient le jour. Avec un objectif de construire, en 20 ans, les infrastructures ainsi que 500 lits touristiques nécessaires au développement d’une économie qui fait défaut à cette partie du pays. Près d’un million de vacanciers sont attendus dans ce qui sera surnommée la Floride ou la Californie française et résonne désormais comme l’emblème des sites de tourisme populaire. Autre ambiance, l’aménagement des plages des Alpes Maritimes, fréquentées par les touristes issus des hautes sociétés européennes depuis le début du XIXème, repose sur un autre modèle. Les stations climatiques fixées à proximité de zones déjà urbanisées s’avèrent très codifiées entre la promenade, le casino, les palaces et les villas qui se dispersent sur les pentes escarpées du littoral. Les palaces, justement, peinent à retrouver leur clientèle et s’essaient à la reconversion, notamment en copropriétés. A mi-chemin, le Var joue une carte singulière. Elle se concrétise durant les Trente Glorieuses par un développement sans précèdent de ses équipements touristiques et de loisirs. Une dynamique immobilière qui s’inscrit dans les grands débats doctrinaires de l’époque sur l’habitat, le logement social et le logement pavillonnaire. Avec une vraie spécificité, la prise en compte du paysage et de l’environnement dans les projets. Le Var met ainsi en avant une expérience architecturale innovante en écho avec la modernité critique. Des opérations significatives Les travaux réalisés par Pascale Bartoli « 1955-1975 : Les ensembles résidentiels de vacances sur le littoral varois » révèlent les enjeux à l’oeuvre. Cette vue d’ensemble permet d’appréhender l’originalité et l’exemplarité de la réflexion architecturale, urbaine et sociologique de ces projets. « C’est en constatant la quantité des publications sur les quatre principaux projets de villages de vacances du littoral varois (le Merlier de l’Atelier de Montrouge, le village des Fourches de Lefèvre et Aubert, le Graffionier de l’AUA et Port Grimaud de François Spoerry) que l’intérêt d’un inventaire s’est manifesté. En effet, le retentissement d’une poignée d’opérations permet d’envisager la découverte de nombreux autres projets réalisés ou bien seulement esquissés ». La problématique est posée. Le Var possède une culture agricole, peu d’infrastructures. L’industrie y est inexistante. Le tourisme s’impose comme la seule vraie possibilité d’essor économique. Cette déferlante saisonnière, certes souhaitée, doit cependant composer avec un autre enjeu, la préservation des atouts naturels et notamment de vastes zones côtières naturelles.Les liaisons sont encore difficiles. « Au début des années 1950, le littoral des Maures est dépourvu de voies de communication, les déplacements se font par cabotage. ÀToulon, où la raison militaire supplante toutes les autres, rien n’est fait pour faciliter les échanges avec l’Est ».Un plan avant-gardiste Les premiers jalons sont posés dans les années 1920-1930 avec le Plan Prost (1926), particulièrement novateur pour l’époque. Avec comme objectif, l’embellissement du littoral varois depuis Hyères jusqu’à Saint-Raphaël, il initie des modes d’urbanisation concertés et respectueux du paysage. « C’est ainsi la première tentative de constitution d’un urbanisme de bord de mer propre à ce territoire. Visionnaire, il continue par son actualité et sa modernité, d’influencer l’urbanisme aujourd’hui ». Etape par étape, celle-ci s’organise et prend forme de lotissements isolés, occasionnellement articulés avec un hôtel et ses équipements sportifs et balnéaires. L’Entre-deux-Guerres voit un autre phénomène se produire. De larges domaines situés à l’écart des centres existants sont morcelés et vendus à des vacanciers en quête d’un habitat plus proche de la nature et en rupture radicale avec les formes traditionnelles de leur vie citadine. « L’automobile a incontestablement soutenu cette diffusion de l’urbanisation structurée autour de voieries en corniche d’où l’on apprécie déjà le paysage ». Le département évolue et développe dans la foulée une géographie et une tradition farouche de préservation du paysage. Un tourisme à grande échelle L’arrivée en force des Villages de Vacances accélère la cadence. Créée en 1959, avec la troisième semaine de congés payés autorisée 3 ans plus tôt, l’association VVF, gérée entre autres par la Caisse des Dépôts et Consignations, innove. L’acronyme est révélateur et le concept en phase avec l’état d’esprit de l’époque. Ce mouvement de fonds bouleverse incontestablement le marché du tourisme dit de masse en introduisant le principe d’offre de « séjours tout compris ». La proposition consiste, en effet, en un accueil complet de loisirs et de services et un hébergement en hameaux à des familles dans l’incapacité financière de partir (vraiment) en vacances. La fédération nationale des foyers et clubs de loisirs Léo Lagrange, sous l’impulsion du parti socialiste, coordonne alors la construction d’équipements qui vont se multiplier et déterminer de nouvelles formes architecturales. « La véritable évolution de la commande réside dans l’arrivée des programmes sociaux représentés par l’État et le milieu associatif. Ils vont s’inscrire dans une approche la plus souvent traditionnelle et pragmatique avec une réappropriation des rites des vacances. C’est du point de vue morphologique que se situent les principales innovations et expérimentations de formes architecturales inédites. La relation forte des projets avec les côtes varoises pose les fondements de ce qu’on pourrait appeler « l’architecture paysage » ou « l’architecture orographique ». Trois grandes catégories de programmes combinant différentes formules de logements individuels ou collectifs émergent ; l’échelle de l’unité résidentielle (grands ensembles, hameaux et villages), l’unité de voisinage (urbanisations raisonnées, quartiers) et celle de la petite cité (stations balnéaires intégrées). Citons, quelques exemples significatifs, celui du village des Aludes à La Garde Freinet construit par André Wogensky et Alain Amédéo, au milieu des années 70 marque la montée en puissance d’une idéologie communautaire et solidaire. Elle prévaut d’ailleurs à l’organisation des équipements et des activités. Le principe est simple, il s’agit d’initier aux loisirs quels qu’ils soient, sportifs ou culturels, les classes dites laborieuses pour favoriser les relations sociales. Un parti pris qui implique, par exemple, la prise en charge des tâches ménagères, des repas et la garde des enfants. Le village du Pradet créé en 1962 par André Devin fait, à ce titre, figure de pionnier sur le littoral varois. Institutions et promoteurs de la partie Ce tourisme social est impulsé par les institutions. Mais la promotion privée comprend l’intérêt de se positionner et s’illustre à travers quelques grands noms. On y compte François Leredu installé à Hyères et spécialisé dans les programmes balnéaires de standing tels que le domaine Gaou-Bénat, le golf de Valcros, le domaine Pardigon de Lefèvre et Aubert, le Château Volterra de l’atelier de Montrouge. Marius Cayol, promoteur toulonnais de Simone Berriau plage en est un autre représentant comme l’architecte François Spoerry. On lui doit le concept de station intégrée tel celui de la cité Lacustre de Port Grimaud. Célèbre, cet ensemble architectural unique, inscrit en 2002 au « Patrimoine du XXème siècle », imaginé et construit à partir de 1966, possède la particularité d’être organisé en copropriétés privées qui assument entièrement son entretien et sa préservation. Véritables innovations en matière d’urbanisation à l’échelle du territoire, des lotissements géants se développent désormais sur les côtes. Celui du Rayol Canadel est particulièrement représentatif. Classiquement connecté au réseau ferré, par son échelle et son étalement sur les côtes escarpées du littoral entre le Cap Nègre et Cavalaire, il échappe à toutes possibilités de compositions ordonnancées. La référence à la figure villageoise continue à séduire mais les promoteurs misent de plus en plus sur ces complexes imposants. La création de stations balnéaires intégrées incarne le double enjeu du tourisme : accueillir un large public sans dénaturer les paysages. Des stations entières sortent de terre. Echelonnées entre 200 et 1500 logements, elles restent malgré tout, quantitativement moins importantes que celles du Languedoc-Roussillon. Une mobilisation active pour l’environnement Dans les années 70, le grand public se mobilise sur de nouveaux enjeux comme la protection de la nature et du littoral. Symboles s’il en est, le Conservatoire du même nom verra d’ailleurs le jour en 1975 et la Loi Littoral sera votée 11 ans tard. Le ton est donné, sans retour en arrière possible. Certains projets comme Marina Baie des Anges entre Cagnes sur Mer et Villeneuve Loubet sont pointés du doigt, alors même que leur vertu et leur intérêt sont depuis reconnus, entre autre par la labellisation « Patrimoine du XXème siècle ». La législation a ses limites. L’urbanisation n’est pas stoppée, elle permet la construction en continuité des agglomérations. Et dans un département où le BTP possède un poids incontestable, les dérapages ne sont pas rares…. Ce tour d’horizon ouvre le débat. Le tourisme de masse, par la dimension utopique et expérimentale qu’il véhicule, offre de nouvelles libertés et créativité, donnant naissance à des logements en rupture avec les formes traditionnelles. Avec de nouveaux pré-requis, séduire, certes mais également rationnaliser de façon constructive et morphologique. Sans exclure, donnée essentielle du Var, la notion d’intégration paysagère. Se pose ainsi la question, contradictoire, de l’aménagement des sites naturels et sauvages. Comment ouvrir au plus grand nombre sans dénaturer ? Des outils et des enseignements qui font écho dans le domaine de la prospective territoriale. A l’heure où une urbanisation concertée des sites sensibles reste, sur ce territoire, plus que jamais d’actualité.* Habiter les Vacances Architectures et urbanismes sur le littoral du Var Par Pascale Bartoli Éditions ImbernonINFORMATIONS PRATIQUESCrédits ©2020 Texte Fabienne Berthet & Pascale Bartoli – Photos Pascale Bartoli Article issu de la Revue n°l selon ARCHIKDécouvrez aussi ...Notre dernier projetNos éditionsNos évènements